Allons droit au but : lorsque François Fillon discourt au dîner du CRIF, est-il sincère ? Ses paroles, qui semblent dictées par une autorité supérieure, sont-elles une figure imposée, ou correspondent-elles à sa pensée profonde ?
La question est d’importance, puisqu’elle conditionne et la politique intérieure, et la politique extérieure de notre pays en 2017.
Le fossé entre les convictions personnelles et la realpolitik nous force à poser cette question, qui est une question de confiance. Les hommes politiques à deux faces prouvent qu’il y a un pouvoir supérieur à celui de leur fonction, capable de plier leurs convictions les plus solides contre les intérêts du peuple, qui lui, a droit à des promesses. Il ne s’agit donc pas de savoir si Fillon est antisioniste ou pas, par calcul, par ruse ou par obligation, mais s’il peut changer la politique de soumission française en la matière.
Lorsqu’il était Premier ministre, ou simple « collaborateur » de Nicolas Sarkozy pendant l’épisode 2007-2012, Fillon a fidèlement suivi la politique de son supérieur, qui lui n’a jamais caché son inféodation à l’axe américano-sioniste.
En ce sens, Fillon a prononcé les discours que « son » président attendait de lui, à savoir le rappel du devoir de mémoire, le soutien à la politique (d’agression et d’occupation) israélienne, et le financement de la propagande sioniste via le culte « républicain » de la Shoah.
Journal de 20 Heures, France 2, le 21 février 2008
François Fillon s’adresse à David Pujadas :
« Regardez cette affaire de la Shoah, personne ne peut être contre, le devoir de mémoire, il peut pas y avoir de polémique sur le devoir de mémoire, et l’idée du président de la République il faut faire plus pour le devoir de mémoire, et qu’i faut aller plus auprès des élèves, c’est une idée que personne ne va contester. Maintenant il faut la mettre en œuvre, Xavier Darcos a mis en place une commission qui réunira des historiens, des psychologues, y aura Simone Veil, y aura Claude Lanzmann, mais c’est quand même bien l’énergie initiale qui a été donnée par le président de la République qui va faire qu’on va faire mieux dans ce domaine. »
Le 22 Heures , Public Sénat, le 3 février 2010
Deux ans plus tard, le Premier ministre, invité au dîner du CRIF, s’adresse à Richard Prasquier. Lorsque Fillon prononce « monsieur le président », il ne s’adresse pas au président de la République, mais au président du CRIF. Depuis, les discours du dîner du CRIF ne sont plus rendus publics, et ont disparu des archives de l’organisation qui regroupe 60 associations.
Le discours de Richard Prasquier, avant celui de François Fillon, ne laisse pas place au doute sur les intentions politiques de son association. Morceaux choisis :
« 25 ans que nous sommes fiers que le dîner du CRIF soit un grand rendez-vous de la République »
« La haine d’Israël et des juifs est un ciment efficace. »
« N’oublions pas que le journal antisémite de Drumont s’appelait “La libre parole”. »
« S’il y a un lieu où le mot “liberté” résonne particulièrement fort, c’est Auschwitz. »
Prasquier ironise sur un préjugé contre les juifs :
« Ce sont les sionistes qui sont responsables de la Shoah, ce qui leur a permis de voler leur terre aux Arabes. »
Il associe la Shoah à Israël dans la politique actuelle :
« Aujourd’hui on essaye de retourner la Shoah comme une arme, contre Israël. »
« Les nazis n’ont pas disparu. »
« La France n’est pas un pays antisémite mais il y a de l’antisémitisme en France. »
« Ce rapport accuse Israël de crimes de guerres. »
« Et comme toujours c’est Israël qui est au rang des accusés. »
Prasquier termine sur une profession de foi :
« Juif, et fier de l’être, républicain, et fier de l’être, français, et fier de l’être. »
« Le CRIF est un outil de combat. »
« Le CRIF c’est le quartier général de la lutte contre l’antisémitisme. »
« Il en va du CRIF comme de la démocratie, c’est le pire des systèmes, mais c’est le meilleur… »
Au tour de François Fillon, dont la marge de manœuvre entre le sionisme d’un Sarkozy et l’ultrasionisme de Prasquier semble très réduite :
« Le dîner annuel du CRIF c’est un évènement. »
« Je voudrais rendre hommage aux déportés encore vivants et à leurs familles. Ils ont un rôle essentiel dans notre société, un rôle de transmission et de rappel et le gouvernement doit tout faire pour aider à faire vivre cette mémoire. »
« La vraie civilisation c’est d’abord la part de l’homme que les camps ont voulu détruire, écrivait Malraux dans ses Anti-mémoires. Notre coma, notre combat commun est là ! Dans la protection sacrée de cette part de l’homme qu’on ne saurait nier ! Et je remercie le CRIF de son engagement dans ce combat. Je tiens à adresser à toute la communauté juive de France un message de solidarité à la suite de la profanation des tombes du cimetière de Kronembourg. Encore une fois la bêtise et la haine ont insulté les morts et bouleversé les vivants. Et au-delà de la communauté juive, c’est notre nation toute entière qui se sent blessée, humiliée, atteinte au plus profond d’elle-même. Avec le ministre de l’Intérieur et le Garde des Sceaux, je peux vous dire que je ferai tout pour que les responsables de ces actes soient retrouvés et qu’ils soient sévèrement condamnés. »
Fillon historien pratique l’amalgame entre hier et aujourd’hui, la France de 2010 et celle de 1940... Il passe ensuite au volet répressif de son intervention :
« Je crois à notre République, on peut être passionnément républicain, passionnément français, sans renoncer à ce qui est au plus profond de soi. L’histoire des juifs de France est inséparable de l’histoire de la République et de l’amour de la France. Je repense aux paroles de Marc Bloch. La France demeurera quoiqu’il arrive la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux. Aujourd’hui encore que cet attachement puisse être nié par certains, refusé, foulé aux pieds, nous ne pouvons pas le tolérer, chaque fois que l’antisémitisme progresse, c’est la République qui recule et c’est la démocratie qui dépérit. La violence à caractère antisémite est profondément révoltante, elle est insupportable, vous avez rappelé monsieur le président, notre politique pénale elle est ferme et elle est réactive et elle ne faiblit pas. Et les condamnations lourdes intervenues ces dernières années en attestent. Nous avons décidé avec madame la Garde des Sceaux d’accroître la spécialisation des magistrats. Ceux qui composent le pôle anti-discrimination traitent désormais en plus des affaires de discrimination les affaires dont l’antisémitisme est une circonstance aggravante. Ça va permettre d’augmenter l’efficacité de nos magistrats en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et cela va améliorer la communication entre les juridictions et entre les représentants des communautés culturelles et religieuses sur le terrain. »
Le Premier ministre revient sur l’affaire Ilan Halimi, exploitée par le CRIF pour culpabiliser toute la République :
« En 2006 un juif est mort en France parce qu’il était juif. » « Les démocraties oublient parfois qu’elles ont des ennemis. » « Je veux que la France soit à la pointe de cette dimension nouvelle de la lutte contre l’antisémitisme. » « La France est fière de compter parmi les meilleurs amis d’Israël. » « Nicole Guedj travaille actuellement au lancement d’une initiative Europe-Israël que je trouve très prometteuse. »
Il conclut sa déclaration d’amour par un magnifique :
« La grande démocratie qu’est Israël. »
Pour finir, Fillon délaisse les envolées lyriques pour la petite musique du tiroir-caisse :
« La France a reconnu sa responsabilité dans la déportation des juifs et l’a assumée à travers notamment la création en 2000 de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, en réparation des préjudices causés, et grâce à l’entière restitution des sommes spoliées qui étaient restées sans ayants droit. En moins de 10 ans, la Fondation a joué pleinement son rôle. 150 millions d’euros ont été affectés pour soutenir le Mémorial de la Shoah ainsi que pour aider plus de 1 700 projets dans les domaines de la solidarité envers les survivants, de l’Histoire, de la mémoire, de l’enseignement de la Shoah, de la culture juive. Depuis 10 ans, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations a restitué plus de 450 millions d’euros à des dizaines de milliers de requérants. Je salue le travail de cette remarquable institution. Enfin, j’ai décidé en août dernier de revaloriser la rente aux orphelins de parents déportés, fusillés ou abattus en tant que juifs, créée en 2000. Elle le sera chaque année jusqu’en 2012. »
Alors, sont-ce des promesses, ou un programme politique ? La suite a confirmé que Fillon ne plaisantait pas. La répression anti-antisioniste a augmenté, ainsi que les réparations. Cette générosité spectaculaire en période de crise pour tous les Français ne suffira pas à sauver de l’opprobre le Premier ministre, deux ans plus tard, lorsqu’il évoquera le communautarisme juif, sur Europe 1, devant l’inquisiteur Elkabbach :
Le Grand Journal de Canal+, le 6 mars 2012
La déclaration dans laquelle il assimile l’abattage rituel à une tradition éculée est diffusée sur le plateau de l’émission phare de la chaîne de gauche :
« Il y a des traditions qui sont des traditions ancestrales qui ne correspondent plus à grand-chose alors qu’elles correspondaient dans le passé à des problèmes d’hygiène… »
Denisot laisse la parole au président du CRIF :
Michel Denisot : « Est-ce que c’est un dérapage de François Fillon ? »
Richard Prasquier : « De la même façon que nous sommes très très opposés, très hostiles au fait que le religieux fasse ingérence dans le domaine politique, nous sommes aussi hostiles à ce que le politique fasse ingérence dans le domaine religieux.
Michel Denisot : Un dérapage ?
Richard Prasquier : Je dirais que c’est très vraisemblablement un dérapage. […] Ben écoutez j’attends des explications de François Fillon, j’attends que François Fillon nous dise que effectivement sa parole a dérapé… Il se permet de donner des conseils aux religieux… »
On ne peut être plus clair sur l’ingérence du religieux dans le politique !
Le nouveau Fillon est arrivé
Depuis 2012 et la défaite du président Nicolas Sarkozy, François Fillon s’est fait discret. En réalité, hors champ (médiatique), il laboure la France, à la Chirac, pour resurgir à l’occasion de la sortie de son ouvrage, Faire, qui deviendra un best-seller à la rentrée politique de septembre 2015. Les ventes connaîtront, lors de sa double victoire des 20 et 27 novembre 2016, une seconde vie : 95 000 exemplaires écoulés fin 2015, et une réimpression prévue fin 2016, car il s’en arrache 1 000 à 1 600 par jour. Depuis sa victoire sans conteste, grâce au tamponnage des deux trains Juppé et Sarkozy, Fillon durcit son discours, qui prend parfois des airs antisionistes.
Sur la politique extérieure, on sent un désir de gaullisme, avec la proposition de changement de centre de gravité de la diplomatie française, de grouillot de l’axe américano-israélien, à une entente Paris-Berlin-Moscou, sur laquelle se greffent plus ou moins Téhéran et Pékin. L’os Merkel empêchant pour l’instant la concrétisation de ce contrepoids à l’Empire.
- Valérie Boyer, soutien de Fillon, exhibe le soir du 27 novembre 2016 sur France 2 sa préférence religieuse
En politique intérieure, les accointances du maire de Sablé (sur Sarthe) avec les représentants de la Manif pour tous, de Sens commun et du député Poisson, montrent une nette préférence pour le catholicisme. C’est-à-dire, en creux, par rapport à la religion musulmane et à la religion juive. Du simple catholicisme à l’intégrisme catholique, et de l’intégrisme catholique à l’extrême droite, et enfin de l’extrême droite à l’antisémitisme, il n’y a que trois pas, que les médias de gauche ont allègrement franchis, afin de coller au nouveau leader de la droite – ou des droites – une image infamante d’ennemi des juifs et d’Israël.
D’ailleurs, de manière très subtile, en brouillant ses traces, le personnage laisse traîner des messages ambigus, que s’empressent de ramasser les ensembles politiques ou les communautés concernés, à l’affût de toute prise de position sur ce sujet, ô combien chaud. Fillon est ce personnage politique capable de débiter l’incroyable litanie des réparations à la communauté juive via le CRIF, et en même temps de remettre en cause la tradition casher, la circoncision ou l’honnêteté républicaine des juifs français au XIXe siècle ; ce qui ne l’empêche pas de faire un voyage tout sauf innocent en Israël le 30 janvier 2014…
Un jeu sur les deux tableaux, bonne vieille technique politique de ratissage des voix tous azimuts, qui demandera un jour à être clarifiée. D’aucuns verront dans ce comportement bicéphale une manip permettant de se mettre des électeurs du FN dans la poche, sans coup férir côté CRIF. Sans oublier qu’il y a un FN crifo-compatible, et un FN crifo-incompatible.
Si Fillon tient jusqu’à mai 2017, qu’il est élu, et qu’il se rallie à l’axe israélo-américain, les Français en mal d’indépendance nationale seront encore cocus, une fois de plus.
Nous finirons sur une parabole.
L’élection présidentielle est comme un employeur qui prendrait le risque d’accorder un CDI à un employé qu’il connaît mal, mais qui dit travailler vite et bien pour son patron. Une fois le contrat signé, le rapport de forces s’inverse : l’employé change soudain son rendement au travail, qu’il avait pourtant promis lors de la rencontre…
Tout est question de confiance, et d’obsolescence programmée des promesses.